La peinture en éclats

La peinture en éclats

2019 – Fondation Clément, Martinique


Julie Bessard : Peindre, tracer, tisser la ligne dans l’espace

« Éclairs, fulgurances… les peintures réunies dans cette exposition se proposent d’emblée au regard comme autant d’espaces hypnotiques, contradictoires et élusifs, impératifs aussi. Elles proposent en effet simultanément le noir opaque et puissant de leur fond, qui définit leur identité de tableaux, donc d’espaces circonscrits, et la force gestuelle des jetées de couleurs qui les traversent, pulvérisant virtuellement les paramètres visuels acquis : les limites de l’image et sa planéité. Les tonalités vives des lignes de couleur radicalisent une équation chromatique simple et définissent l’espace tout en valorisant la profondeur immuable du noir. Le choix du pastel à l’huile permet une rapidité d’exécution qui souligne le mouvement tout en introduisant la sensation d’une matérialité qui marque le fond noir sans l’entamer. L’artiste parle ainsi de “quelque chose qui se lève, qui s’arrache” et non d’un élément incisif, tracé dans la profondeur (elle-même virtuelle). Ces lignes de couleurs vives, à la fois fluide et fortes, ne sont pas tracées au hasard. C’est la cohérence du tableau qui se construit progressivement, dans une coordination spontanée du geste et du temps.
Il arrive néanmoins que ces “fulgurances” colorées soient comme happées par le noir profond. La lutte est alors ouverte… tornades, torsions, balafres… Ce sont de ces peintures que sont proches les envolées de formes qui se déploient dans l’espace telles de grands filets de pêcheur reliant ainsi, réellement ou métaphoriquement, les formes peintes à l’espace extérieur, sans les y entrainer pour autant. Le lien entre espace pictural et espace réel, entre volume et planéité, se matérialise par elles. Par la dynamique entre champ noir profond et vigueur des formes-couleurs, par le déploiement d’un graphisme linéaire dans l’espace, les œuvres de Julie Bessard proposent une forme d’“aventure méga-picturale sismographique”, dans la lignée de certaines réalisations de l’Action painting américaine tandis que les gerbes de traits fins des dessins sur papier blanc qui dialoguent avec elles déploient une délicatesse des signes et des traces, plus proche de Henri Michaux ou Hans Hartung. Ces dessins disposés en “mur” forment un “subtil contrepoint aux peintures tout en en suggérant la quintessence” explique l’artiste. Une œuvre forte, à la fois totale et ouverte. Une aventure riche et subtile dans l’univers du sensible. »

Ann Hindry,
Paris, Juillet 2019
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